Ils ont des chapeaux ronds
Nous sommes en 1939, mon grand père paternel, comme beaucoup d'autres à cette époque, est parti à la guerre loin de chez lui.
Ma grand mère enceinte de ma tante est d'abord restée avec son fils aîné dans notre village situé à 20 km de la frontière Belge, oui j'y ai grandi et même si j'en suis partie à 16 ans c'est "notre village" ;), puis est venue "l'évacuation".
Fin 1939, ma tante avait à peine 6 mois, ils sont partis droit devant eux pour trouver un endroit plus "calme", Le Bourget a été leur point de chute, chez les beaux-parents.
Là-bas une nouvelle vie s'est organisée petit à petit avec les difficultés que l'on devine et connaît.
Début 1940 mon grand père a pu avoir une permission et rejoindre sa famille quelques jours il a ainsi fait la connaissance de sa première fille.
Il repart, la vie continue.
Ma grand-mère sympathise avec un gentil breton, militaire stationné dans ce secteur, lui aussi loin de sa famille.
Ils se rencontrent à de nombreuse reprises et l'union de deux solitudes fait que ce qui n'aurait pas du arriver se passe, ils s'unissent (c'est joliment dit hein ? ;) J'aurais pu fairepire). La situation fait que tout se vit dans l'urgence et peut être plus intensément, mais aussi très discrètement.
Fin mars 1940 mon grand père a de nouveau une courte permission le veinard, il n'est pas très loin de sa famille et va vite les voir, tout se passe normalement bien entendu ;)
A son départ ma grand-mère poursuit sa liaison bretonne toujours le plus discrètement possible puisqu'à l'époque l'adultère était encore plus mal vu qu'aujourd'hui mais en plus tromper un soldat qui est au front !!!
Elle continue d'écrire régulièrement à son mari, il lui répond, les lettres sont courtoises et même chaleureuses parfois, je sais c'est moi qui les aient retrouvées au grenier et précieusement gardées, ils se racontent leur petites joies et tracas quotidiens, les progrès des enfants... bref les courriers normaux d'un couple séparé ;) Les réponses ne sont pas régulières car mon grand père bouge sur le front et les lettres mettent parfois du temps à le rejoindre.
Fin mai 1940 ma grand-mère s'aperçoit qu'elle est enceinte, ça fait presque un mois qu'elle n'a pas reçu de lettre de son mari. Elle décide de lui en envoyer une bien jolie pour lui annoncer sa grossesse. Il répond très rapidement et brièvement qu'il est heureux de se savoir papa pour une troisième fois que là il ne pourra pas lui donner de nouvelles tout de suite, ils partent en mission il ne sait quand ni où, secret militaire...
La grossesse de ma grand mère se passe bien physiquement, elle est chouchoutée (autant que possible) par ses beaux-parents, par contre moralement elle se sent mal et s'en ouvre dans une lettre à soeur (trouvée elle aussi dans un grenier, celui de ma grand tante, vive les gens qui ne jettent rien).
En fait lors de la permission de son époux, ils ont bien eu des rapports sexuels mais elle finissait juste ses périodes dit-elle, et elle en a eu d'autres 3 semaines après, elle est donc persuadée que le petit qui pousse en elle est l'enfant accidentel de son amant, elle a décidé d'essayer de le faire passer parce qu'il naîtra trop tard pour qu'on la croit. Le petit était déjà aussi chiant qu'aujourd'hui, il est resté là où il était.
Elle a fait part de ses doutes à son amant qui a été bien embêté lui aussi car en Bretagne l'attendait son épouse et leur fille aînée.
Ils ont décidé de laisser faire les choses puisqu'ils n'y pouvaient rien...
En septembre le breton a été affecté dans une autre ville.
La vie poursuit son chemin.
Ma grand mère n'a plus de nouvelles de son mari depuis longtemps maintenant mais la situation est très trouble et il avait prévenu.
Mi octobre elle reçoit un courrier de l'Armée Française lui annonçant le décès de son mari à Louviers, sur un pont miné, le courrier lui signifie que l'état français est reconnaissant du sacrifice qu'il avait fait etc... bref tous ces mots si vides de sens quand on se retrouve veuve à 25 ans et avec 2 enfants, bientôt 3.
Ses beaux-parents, des gens très bien, ne la laisse pas dans la nécessité et continuent de s'occuper d'elle, des enfants et de sa grossesse.
C'est ainsi qu'en décembre 1940 naîtra mon père dans une ville au nom qui donne le frisson à cette époque, Drancy.
Ma grand mère voulait lui donner le prénom de son amant, mon arrière grand-père, chargé de la déclaration en mairie, a un peu trop fêté la naissance du petit et arrivé devant l'officier d'état civil est incapable de se souvenir de ce que lui a dit sa fille, il choisit donc un prénom au hasard, qui n'a strictement rien à voir avec l'autre... J'entends encore ma grand-mère le lui reprocher alors qu'il était mort depuis bien longtemps ;)
Au fil des années la famille s'étonnera de plus en plus de l'absence de ressemblance du petit dernier avec son père puis ils oublieront.
Ma grand-mère revient dans son village d'origine avec ses enfants et ses parents.
En novembre 1949 ma grand mère se remariera avec celui que j'ai toujours considéré comme mon grand-père.
Les liens avec son ex belle famille se distendront, à tel point que je ne connaîtrait qu'un membre de cette branche, enfin 2, une grand tante, veuve très jeune, un peu fofolle et adorable qui avait été sacrée Reine d'un jour chez Jean Nohain, et son fils qui est resté auprès d'elle et célibataire jusqu'à sa mort et qui vit désormais à passé 60 ans une sorte d'adolescence à retardement ;)
Ma grand mère et mon grand père élèveront 4 autres enfants en plus, soit 7 entre lesquels mon grand père ne fera jamais aucune différence.
En 1950, le breton a fini par retrouver la trace de ma grand mère et vient lui rendre visite, elle lui explique la situation en 3 mots, lui interdit de voir son fils et l'éjecte quasiment de la maison et du village. Mais trop tard les commères étaient à l'affût.
2 ans plus tard mon père apprends sans trop de ménagement de la bouche d'une vieille du village qu'il n'est qu'un bâtard et d'un "boche" en plus !!!!
Et oui le breton qui s'est fait évincer a récriminé en breton, langue aussi inconnue que l'allemand aux oreilles de la vieille, en plus il est blond vénitien, donc dépêchons nous d'en tirer les conclusions...
Après avoir posé la question à sa mère il a eu confirmation qu'il était bien un bâtard mais pas issu d'un allemand mais d'un breton, il a même pu voir une photo de son père biologique.
Il a grandi cahin-caha avec cette chose dans la tête.
Mon père est devenu adulte, garagiste, je suis née.
Vers mes 9 ans nous sommes allés en vacances en Bretagne, les premières vacances avec mes parents.
Nous sommes allés manger dans une crêperie et j'y ai vu une dame, la patronne, qui ressemblait beaucoup à je ne sais qui mais que j'avais l'impression d'avoir déjà vue, j'ai entendue ma mère dire à mon père de regarder une petite fille d'environ mon âge et ma morphologie qui sortait de l'arrière du restaurant, nous sommes allées jouer ensemble sur les balançoires de la place du village pendant que les parents restaient à boire un café et fumer une cigarettes, elle était très gentille et rigolote. Je l'ai revue presque toutes les vacances puisque nous avions loué un gîte dans cette commune et que je n'ai jamais mangé autant de crêpes et de galettes. Régulièrement le garagiste du coin, un peu vieux, avec des sabots paillés, venait prendre un verre, un café à la crêperie qui était en face de son garage, elle était tenue par sa fille cette crêperie, c'était donc son annexe ;)
Les vacances se sont terminées nous sommes rentrés.
Jusqu'à mes 16 ans nous sommes allés en vacances, tous les 2 ans environ, dans cette région de la Bretagne, ça tombait bien je trouvais ce coin superbe, puis j'ai grandi, mes parents sont partis en vacances seuls, comme des grands, toujours souvent en Bretagne.
Lorsque j'ai eu un peu plus de 30 ans j'ai appris l'histoire de la "bâtardise" de mon père et le nom de son père. C'est sans trop de surprise que j'ai ainsi appris que le garagiste breton était mon grand-père, la crêpière ma tante et sa fille, avec qui je jouais, ma cousine. J'ai revu des photos de l'époque, je vous garantie qu'à 10 ans j'avais un sosie presque parfait en Bretagne, elle rousse, moi châtain mais avec une peau de rousse.
Mon père ne s'est jamais fait connaître de son père pour ne pas perturber la famille de cet homme, c'est son choix...
Il continue à aller dans ce coin breton très régulièrement, encore plus depuis qu'il est en retraite.
A force la crêpière les reconnaît.
Le père est souvent dans la crêperie depuis qu'il a pris la retraite du garage, il est très âgé.
Depuis deux ans c'est le petit fils qui a repris la crêperie et l'a transformée en bar pour les jeunes, le vieux n'y va plus mais mes parents se sont payé le "culot" de demander de ses nouvelles au jeune qui leur a indiqué la place au soleil où on pouvait le trouver par beau temps.
La semaine dernière mes parents sont allés en Bretagne, il faisait beau mais le garagiste n'était pas sur son banc, le bar était fermé ce jour là.
Une intuition les a guidé jusqu'au cimetière, ils y ont trouvé la tombe gravée C. C. 23-10-1917 20-11-2008.
Je ne sais si mes parents continueront d'aller en Bretagne, ils devraient c'est beau comme région, peut être juste changer de secteur ?
Donc de mes 6 grands parents ils n'en reste plus aucun en vie, mes 2 grands parents maternels, ma grand mère paternelle, mon grand père légal dont je porte le nom, mon grand père de fait et de coeur et mon grand père biologique se sont rejoints, pourvu qu'ils aient oublié que ça ne se poursuive pas là-haut sinon bonjour le bazar :D
J'ai fait répéter la date à mon père car il y a une coïncidence amusante, ma grand mère est morte le 20/11/2002 et son amant le 20/11/2008...
Une histoire de famille avec
Une histoire de famille avec tous les ingrédients ... ses amours, ses drames, ses secrets, ses coincidences ...
merci de l'avoir partagée
Bonne soirée
Oui juste une histoire
Oui juste une histoire ;)
Merci à toi de l'avoir lue.
Très jolie histoire, où ce
Très jolie histoire, où ce qui aurait pu mal tourner se finit bien, grâce à la discrétion de chacun.
Et dis donc, je suis née le même jour que ton grand-père (juste beaucoup d'années plus tard)!
Oui, mais bon pas sans
Oui, mais bon pas sans séquelles, légères mais elles sont là qunad même, j'en parlerai peut être un jour.
Tu es donc née également le même jour que le fils aîné de mon mari qui est de 1986, et il a 16 ans et 1 mois pile d'écart avec sa demi soeur ;)
Elle est incroyable cette
Elle est incroyable cette histoire. Imagine un Audiart derrière la caméra ! Quelle vie ! Merci de l'avoir si bien racontée.
Merci à toi d'avoir apprécié
Merci à toi d'avoir apprécié ;)
Quand à Audiart derrière la caméra pourquoi pas ;) Mais cette histoire est, je le crains, assez banale pour l'époque, elle a juste été dite alors que tant d'autres restent secrétes.
La vie de ma grand mère est assez "mouvementée" à bien des égards ;) Elle était notamment sur les barricades du front populaire, dans les bureaux de votepour qu'on ai le droit d'y aller er diverses autres broutilles ;)
Merci pour ce morceau de
Merci pour ce morceau de l'histoire d'une famille, émouvant sans exhibitionnisme, raconté avec tellement d'humanité.
Waow !! Ca c'est de
Waow !!
Ca c'est de l'histoire de famille !!
C'est en lisant ce genre "d'anecdotes" que je regrette de ne plus avoir de grand parents ou de personnes pour me narrer mes aieux et très probablement dénicher des secrets.
trés étonnante histoire
trés étonnante histoire !
(ton père n'a pas mal vécu de ne jamais avoir osé allé rencontrer ce garagiste ?)
J'aime bien les histoires de
J'aime bien les histoires de famille. Très étonnant, très fort ton texte. Merci.
J'aime bien les histoires de
J'aime bien les histoires de famille. Très étonnant, très fort ton texte. Merci.